3… 2… 1… Partez !

Ça pourraît être le slogan des maternités. En effet, en quelques décennies, le temps de séjour moyen à la maternité après l’accouchement a drastiquement diminué (tendance justifiée, confirmée et même préconisée par un argumentaire scientifique publié par la HAS) passant de 12 jours à 8 jours, puis à 5 jours pour atteindre le minimum syndical de 3 jours. Et 3 jours, c’est court. Vraiment court. Un peu trop, peut-être ?


Ces trois jours incluent la surveillance du bon développement du bébé, la surveillance de la bonne récupération de la maman, et lorsqu’on a un peu de chance, une esquisse de formation à notre nouveau rôle de parent. Autant dire qu’en retirant les nuits et les temps de visite des proches, ce capital-temps fond comme neige au soleil et se retrouve réduit à peau de chagrin.

Heureusement, la CNAM a lancé depuis 2010 le programme baptisé PRADO, en partenariat avec les sages-femmes libérales, invitant les parents à prendre gratuitement rendez-vous pour organiser une visite à domicile dans le cadre du suivi post-natal. Ainsi, la sage-femme de votre choix, qui peut être, comme dans notre cas, celle qui nous a prodigué les cours de préparation à l’accouchement et les cours autour des soins du bébé, pourra vous rendre visite et contrôler l’état de santé du bébé, sa prise de poids, mais aussi surtout assurer un rôle un peu plus social et répondre aux questions existentielles de jeunes parents en détresse, telles que :

Parfois, elle pleure longtemps alors qu’elle a mangé, qu’elle est propre et que la température est bonne. Peut-on la laisser pleurer ? Si oui, combien de temps ? Est-ce dangereux ?

ou encore :

Depuis le retour de la maternité, elle s’alimente moins. Les prises de biberons deviennent un moment de combat et on a le sentiment de littéralement la gaver, ce qui n’est agréable ni pour nous ni pour elle, mais le corps médical nous met la pression sur la bonne prise de poids. Comment faire ?

Toute ressemblance avec des situations réelles vécues ne serait évidemment pas fortuite. Et là, on est bien content de bénéficier du fameux PRADO. Malgré cela, ça reste trop court. Les mamans ne sont pas préparées à faire face à la dépression post-partum (le nom médical du baby-blues) qui vient quasi-systématiquement frapper à la porte et à la figure. Elle prend ses fondations sur un lit de fatigue et des colonnes de stress, s’enracine autour du rythme nouveau qui s’impose (sommeil en pointillé, biberons, couches, pleurs, frein brusque des sorties et activités perso) et créé tour à tour de l’irratibilité, de la frustration, de la peur, un sentiment d’impuissance, l’inquiétude de ne pas être à la hauteur de ce nouveau challenge voire la nostalgie de l’avant, y compris de la grossesse. Sans rien enlever à l’amour que l’on porte à l’enfant.

Ce cocktail détonant atteint le paroxysme de sa puissance lorsque l’on met en perspective cet ensemble complexe d’émotions et l’image que le modèle sociétal nous renvoie : si l’on ne nage pas dans un bonheur infini et que l’on ne crie pas sa joie immaculée d’endosser ce nouveau rôle, alors on est un mauvais parent. Eh oui, pensons à tous ces gens qui ne peuvent pas avoir d’enfants ou qui ont des enfants malades, handicapés… quels monstres serions-nous de nous plaindre alors que notre fille est en parfaite santé. Ne sommes-nous pas heureux d’être parents ? La méritons-nous vraiment ? Je n’exagère pas.

Ce poids est d’autant plus lourd pour la maman que notre société est sexiste. Pour s’en rendre compte, il suffit de passer chez Vertbaudet et de demander une carte de fidélité (situation vécue). Moi, le futur papa, j’achetais des vêtements et un tapis d’éveil à ma fille, et je demandais la création d’un compte client avec une carte de fidélité. On m’a demandé le nom de la mère. La carte est à son nom. C’est comme ça. Exemple isolé ? Pas vraiment. Je vais sur le site Allobébé (champion sur les prix, parfois moins sur la dispo et les délais de livraison) et parce qu’on me force à indiquer la date de naissance (prévue) lors de la création du compte, je reçois un message qui me lance « Félicitations pour votre grossesse ! » suivi de « Chacun vous le dit, ces 9 mois où vous porterez bébé seront magiques […]. ». Sans parler de la charte graphique pleine de rose et d’images de femmes, souvent enceintes ou avec leur bébé et radieuses. Pas très subtil, mais il paraît que ça fonctionne, commercialement parlant.

allobebe-grossesse

Ce sont de petites choses, conçues sans forcément penser à mal (voire le contraire), mais ça s’inscrit dans un inconscient collectif où le rôle de la maman est censé être prédominant. Il en va de même pour le congé maternité et son pendant, laissé pour compte, le congé paternité : pourquoi n’est-il pas possible de laisser le choix aux parents pour la répartition des semaines de congés ? Si la maman se sent prête à reprendre le travail, si ça lui change les idées, si ça lui redonne confiance en elle, lui permet de se sentir femme et professionnelle en plus de mère, pourquoi le lui refuser ? Et pourquoi le papa doit-il nécessairement encaisser la frustration de devoir reprendre très tôt le travail ? Là non plus, quelque chose ne va pas. On se met à envier les pays scandinaves et leur modèle moderne de société, laissant plus de place à la vie de famille « sur mesure ».

En France, comme dans la plupart des pays, c’est la maman qui s’occupe de son bébé, qui le choie, qui fait les démarches administratives, qui s’inscrit dans les magasins, qui prend les rendez-vous. Les mamans (futures mamans, jeunes mamans, mamans tout court) ont ce fardeau de la « bonne mère » à porter. Et cette « bonne mère » doit quasiment être exubérante pour satisfaire le critère en société.

Alors il faut le répéter jusqu’à ce que ça entre, se battre contre ces préjugés qui portent un préjudice moral aux femmes : vous avez le droit de vous plaindre, même si votre enfant va bien. Vous avez le droit de ne pas y arriver, de vous sentir débordées, dépassées, de demander de l’aide, d’en parler autour de vous. C’est même un devoir, pas en tant que mère ou que femme, mais en tant qu’humain : pour votre bonne santé et celle de vos proches, communiquez votre malaise, faites-vous soutenir par ceux qui vous aiment. Vous n’êtes pas la première ni la dernière, ce n’est pas parce que c’est moins médiatisé que ça n’existe pas et surtout, surtout, ça ne fait pas de vous une mauvaise mère mais justement une bonne mère.

La maman de Louise me partageait il y a quelques semaines un témoignage très bien rédigé (écrit en anglais) d’une autre maman qui a traversé cette épreuve et qui a plus de légitimité que moi à expliquer ce qu’elle a ressenti et les leçons qu’elle en a tiré.

Malgré ce petit coup de gueule, lié à l’administration financière des établissements de santé (un accouchement coûte en moyenne 2200€ à une maternité, pour un séjour de 3 jours : plus c’est court, moins c’est cher, et autant reporter le coût du suivi sur la Sécu…), il est important de noter que l’accueil, la disponibilité, la gentillesse et le professionnalisme des sages-femmes, auxiliaires de puériculture, infirmier.e.s et internes ont été irréprochables et d’une grande aide. Il serait simplement souhaitable que le suivi post-accouchement soit plus fréquent et peut-être plus long pour vivre cette transition plus en douceur et rassurer les parents, notamment les mamans qui prennent de plein fouet ce changement de vie.

Merci au passage à l’équipe du CHIPS, notamment à Lydie, la sage-femme, à Fabienne, l’auxiliaire de puériculture ainsi qu’à Marie, la sage-femme libérale. smile


Pour aller plus loin

Une réflexion sur “3… 2… 1… Partez !

  1. Ce témoignage me touche
    Vous êtes si forts à accepter et comprendre que rien ne va de soi
    Oui, les clichés sont souvent accusateurs, alors que tout un chacun sait par son expérience qu’il y a un avant et un après le devenir maman, le devenir papa
    Être deux c’est aussi ce qui permet de faire face

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